Récit de Penda Mbaye, responsable du programme Tostan à Dakar, Sénégal

Il y a plusieurs années, j’étais facilitatrice du programme d’éducation de Tostan basé sur les droits humains, le Programme de Renforcement des Capacités Communautaires (PRCC), dans le petit quartier de Hersent à Thiès, au Sénégal. J’y ai remarqué Marietou, une jeune fille âgée de 15 ans, qui a contribué à changer positivement la perception de la violence domestique dans toute sa communauté.

Le père de Marietou est décédé quand elle avait quatre ans, et elle a été obligée de vivre avec son beau-père qui abusait physiquement de sa mère toutes les nuits. Cette violence l’a profondément affectée, mais elle avait l’impression de ne rien pouvoir faire d’autre que de pleurer ; elle ne pouvait pas intervenir.

Des années plus tard, Marietou a participé au Programme de Renforcement des Capacités Communautaires (PRCC) de Tostan. Après avoir appris, lors de discussions en classe, l’importance du respect et de la protection des droits humains pour tous, elle a décidé qu’elle devait faire quelque chose pour aider sa mère. Elle n’en pouvait plus de la voir souffrir. Elle a décidé d’en parler au chef de district, mais a été déçue par sa réaction lorsqu’il lui a dit que les enfants ne devaient pas se mêler des affaires de leurs parents.

Marietou ne se découragea pas pour autant et décida d’attirer l’attention des membres de sa communauté sur la violence domestique. Elle a tout de suite su qu’elle devait faire quelque chose d’extraordinaire que personne n’avait jamais fait ou vu auparavant.

Munie de ses connaissances en matière de droits humains, Marietou s’est rendue seule à la mosquée de sa communauté afin d’aborder la question de la violence domestique avec l’imam et d’autres personnes importantes de sa communauté.

Après la prière de midi, au moment où les gens s’apprêtaient à quitter la mosquée, Marietou a dit poliment : “Puis-je avoir votre attention une seconde ?”

Tous les regards se sont tournés vers elle ; les gens étaient surpris qu’elle, une jeune fille, soit venue à la mosquée pour leur parler. Tout le monde attendait avec curiosité de savoir ce qu’elle avait à dire.

Elle a demandé à l’imam : “Savez-vous que certaines personnes dans cette même mosquée maltraitent leurs femmes tous les jours ? Je suis curieuse de savoir si l’islam vous autorise à maltraiter votre femme comme le font certaines personnes que je connais (en faisant directement référence à son beau-père). Savez-vous que tout le monde a le droit d’être protégé contre la violence domestique ? S’il vous plaît, cher imam, faites quelque chose pour mettre fin à la violence domestique dans ce quartier. Si vous ne faites rien et que mon beau-père continue à battre ma mère, je devrai appeler la police contre lui et tous les autres hommes qui font la même chose parce que je sais qui vous êtes”.

Au début, tout le monde dans la mosquée s’est mis à rire, puis tous les regards se sont tournés vers le beau-père de la jeune femme.

L’imam a autorisé tout le monde à quitter la mosquée, à l’exception de Marietou et de son beau-père. Il lui a dit sévèrement que l’islam n’approuvait pas la violence domestique. Au bout d’un moment, le beau-père de Marietou s’est mis à pleurer et a juré de ne plus jamais mettre les mains sur la mère de Marietou.

Au cours des deux prières du vendredi suivantes, l’imam a décidé d’axer ses enseignements sur la violence domestique et sur le fait qu’elle n’est pas tolérée par l’islam. Les membres de la communauté se sont également impliqués en organisant un forum sur la violence domestique. À ce moment-là, tous les membres importants du district ont décidé de se joindre à la cause de l’abandon de la violence domestique. Une décision collective a été mise en place pour dénoncer toute personne du quartier qui ne s’alignerait pas sur le reste de la communauté en abandonnant la violence domestique.

Pour faire respecter cette décision collective, une loi a été mise en place ; on l’a appelée la loi Marietou. Marietou a également été élue coordinatrice d’un nouveau comité de surveillance communautaire destiné à protéger les femmes et les adolescentes contre la violence domestique. Elle a fait part de sa satisfaction de voir l’imam et l’ensemble de la communauté s’impliquer dans la lutte contre la violence domestique.

Forte des connaissances acquises grâce à sa participation au Programme de Renforcement des Capacités Communautaires (PRCC) de Tostan et de son courage personnel, Marietou est devenue une véritable championne des droits humains. Aujourd’hui, elle n’a plus à craindre que sa mère ou d’autres femmes soient victimes de violence domestique dans sa communauté.