Le 25 mars 2024
Historique
Dans la région du Fleuve Central (CRR) en Gambie, où Tostan met actuellement en œuvre le Programme de renforcement des capacités communautaires, (PRCC) trois femmes d’un village appelé Bagadadji (où Tostan n’a jamais travaillé) ont été dénoncées alors qu’elles pratiquaient l’excision sur des jeunes filles. Elles ont été prises en flagrant délit par certaines ONG et signalées au Bureau de l’égalité des sexes de la région. Les trois femmes ont été arrêtées et poursuivies en justice en vertu de la loi sur les femmes de 2015 qui interdit l’excision en Gambie. Elles ont donc été condamnés à une amende et à une peine de prison.
La nouvelle s’est rapidement répandue sur les réseaux sociaux, et un chef religieux a contesté avec véhémence l’arrestation de ces femmes, exigeant leur libération. Ce chef religieux a toujours défendu l’excision, une pratique qui, selon lui, fait partie de la religion et la culture locales. Il a reçu le soutien de plusieurs autres chefs religieux gambiens et ils ont payé l’amende des trois femmes qui ont ensuite été libérées et renvoyées chez elles.
Les chefs religieux ont discuté de la question sur les médias sociaux, ce qui a suscité des débats houleux et de vives réactions de la part de nombreux militants et organisations de défense des droits humains. Les chefs religieux ont ensuite publié une déclaration en faveur de cette pratique de “circoncision féminine” et ont appelé les membres de l’Assemblée nationale de la Gambie à abroger la loi interdisant l’excision.
Au cours d’une session de l’Assemblée nationale de décembre 2023, un membre a annoncé son intention de proposer un projet de loi officiel visant à abroger la loi sur les femmes de 2015. De nombreuses organisations nationales et internationales (y compris Tostan), des ambassades internationales et d’autres militants – profondément préoccupés par une telle proposition – ont tenu des réunions et publié des déclarations pour tenter de convaincre les membres de l’Assemblée de ne pas abroger la loi. Heureusement, le projet de loi n’a pas été inscrit à l’ordre du jour de décembre 2023, mais a plutôt été reporté à la session de l’Assemblée en mars 2024.
Le 18 mars, le projet de loi a été débattu pour la première fois lors d’une séance plénière de l’Assemblée nationale où la majorité des députés semblaient appuyer son abrogation. Le Président de l’Assemblée nationale a finalement décidé de renvoyer le projet de loi à la Commission du genre, de la santé et de la religion de l’Assemblée pour examen.
La loi interdisant la pratique de l’excision en Gambie reste en place pour l’instant. Cependant, elle risque d’être abrogée si elle est réintroduite par la commission à l’Assemblée nationale dans les prochains mois.
La présence de Tostan en Gambie
Le programme de Renforcement des Capacités Communautaires (PRCC) mis en œuvre depuis 2006 dans la région du Haut Fleuve (203 communautés) et la région du Fleuve Central (60 communautés) de la Gambie, a rejoint plus de 200 000 personnes. Ce programme de trois ans, offert dans les langues nationales de la Gambie, a démontré qu’une éducation participative inculquée de manière respectueuse, inclusive et sans jugement, peut conduire à un changement social positif et durable pour les communautés.
Les évaluations du PRCC ont montré une augmentation significative du leadership et de la participation des femmes, de la scolarisation des filles, de l’amélioration de l’hygiène et de la santé, de l’augmentation des activités économiques et de l’amélioration des pratiques environnementales saines. L’approche culturellement pertinente du programme a porté 329 communautés de l’URR et du CRR à déclarer publiquement leur décision d’abandonner les pratiques du mariage précoce et de l’excision.
Au cours des 18 dernières années, Tostan a travaillé en étroite collaboration avec les autorités gouvernementales locales, ainsi qu’avec les chefs religieux et traditionnels. Tostan leur offre une formation spéciale pour aligner les valeurs des droits de l’homme sur celles des croyances religieuses et culturelles locales avant de commencer le programme. Des centaines de conseils régionaux et de dirigeants communautaires ont demandé que le programme soit mis en œuvre dans tout le pays, compte tenu des résultats éprouvés.
En novembre 2023, le vice-président de la Gambie a accueilli les membres du conseil d’administration de Tostan et a encouragé notre organisation à poursuivre cet important travail pour informer, encourager et soutenir les objectifs de développement identifiés par les communautés gambiennes qui sont le plus souvent aussi ceux du gouvernement gambien et s’inscrivent dans le cadre des objectifs de développement durable (ODD).
L’approche de Tostan pour mettre fin à l’excision
Depuis 1997, l’expérience de Tostan a montré que le programme d’éducation holistique d’inspiration africaine, dispensé dans les langues nationales (locales) est le principal facteur incitant 9 500 communautés dans huit pays africains à abandonner la pratique de l’excision.
En Gambie, 329 communautés ont pris cet engagement. La santé et le bien-être général demeurent les priorités majeures des communautés lorsqu’elles identifient de manière consensuelle leur vision et leurs valeurs pour l’avenir.
Lorsque les participants au PRCC apprennent que l’excision n’est pas une obligation religieuse exigée par les chefs religieux et que cette pratique, non seulement viole les droits des filles et des femmes, mais entraîne aussi des conséquences graves de santé, ils décident de leur propre gré d’abandonner l’excision – et ils le font publiquement afin d’encourager les autres à faire de même. Les chefs religieux et traditionnels, ainsi que les femmes, les jeunes et les coupeurs traditionnels sont tous impliqués dans la décision. Ils s’adressent ensuite à leur réseau social pour dialoguer et invitent tout le monde à rejoindre le mouvement pour une meilleure santé et un meilleur bien-être en abandonnant collectivement cette pratique.
Quand une loi est en place, elle soutient et contribue aux efforts collectifs de succès. Cependant, selon Bettina Shell-Duncan dans son évaluation à long terme de l’impact de la loi au Sénégal et en Gambie : « La loi à elle seule n’a pas entraîné l’abandon [des excisions].
L’abandon n’a eu lieu qu’après que Tostan ait travaillé dans les communautés. Nous concluons que la législation peut renforcer d’autres stratégies de réforme en apportant un soutien à ceux qui ont ou souhaitent abandonner l’excision.”
Nous reconnaissons que si la loi était abrogée en Gambie, cela créerait non seulement un obstacle à tous les efforts consentis par les communautés gambiennes et par d’autres organisations locales et internationales avec lesquelles nous collaborons, mais ce serait également un signal aux autres pays que l’abrogation d’une loi l’interdisant l’excisons est possible. D’autres chefs religieux pourraient également y voir une occasion d’utiliser cette situation sans précédent comme exemple pour tenter d’imposer une telle abrogation dans leur propre pays.
Ainsi, Tostan a été impliqué dans les activités suivantes liées à cette situation :
- 50 membres de communautés qui ont déjà abandonné l’excision se sont rendus à Banjul pour assister à la session plénière de l’Assemblée nationale lors de la révision de la loi afin de réitérer et souligner pourquoi il est nécessaire de maintenir la loi en ce qui concerne l’amélioration du bien-être de leurs familles, communautés et réseaux sociaux étendus.
- Tostan Gambie a rejoint le Réseau contre la violence sexuelle et basée sur le genre pour amplifier un dialogue inclusif sur la pertinence de la loi telle qu’elle est.
- Tostan a participé à un dialogue ouvert avec les membres de l’Assemblée nationale axé sur le bien-être de la communauté.
- Tostan a participé à une conférence de presse organisée par le Réseau contre la VSFG le 17 mars pour inviter les médias nationaux et internationaux à se concentrer sur les progrès en matière de bien-être social et de développement communautaire – comme la loi interdisant la pratique de la MGF (telle qu’elle est).
Engagement dans les médias et les médias sociaux
- Grâce à notre engagement dans les médias et les médias sociaux, nous continuons d’amplifier, de renforcer et d’inclure les voix de nos communautés partenaires alors qu’elles naviguent dans les flux et reflux de la vie dans la communauté, dans la résilience et dans l’engagement envers leur bien-être,
- Tostan Gambie, sous l’égide de la Coalition des OSC et des ONG, a organisé une campagne radiophonique nationale qui a été diffusée le samedi 16 mars sur toutes les radios communautaires de toutes les régions du pays. Des panélistes des communautés et d’autres ONG ont participé à des discussions sur les risques associés à l’excision, en particulier du point de vue de la santé.
- Tostan Communications a élaboré un plan de médias sociaux de deux semaines pour tirer parti du contenu existant qui met en évidence notre approche inclusive, l’engagement des chefs religieux et la vision des communautés d’abandonner l’excision. L’objectif est de souligner implicitement que l’abrogation de la loi ne reflète pas les aspirations profondes des communautés.
- Tostan a eu des discussions avec « Health Policy Watch » pour produire un article sur une communauté partenaire de Tostan et un article d’opinion sur notre approche inclusive pour construire un mouvement positif pour abandonner l’excision.
Enfin, nous sommes encouragés par le fait que la ministre du Genre, de l’Enfance et de la Protection sociale a envoyé un « mémoire » ce week-end appelant l’Assemblée nationale gambienne à faire respecter la loi, mais soulignant également la nécessité d’un « cadre juridique et politique amélioré qui fournit une approche holistique aux problèmes liés l’excision dans le pays pour suivre le rythme de l’évolution des tendances ».
Il est noté que : « Les organisations gouvernementales et non gouvernementales (ONG) ont pris une série de mesures pour lutter contre l’excision. Quelles que soient ses lacunes, la promulgation de la loi de 2015 portant modification de la loi sur les femmes, qui interdit l’excision, a marqué des progrès significatifs dans la lutte contre l’excision en Gambie. Alors que des milliers de filles risquent toujours d’être soumises à l’excision, il est de plus en plus évident que des progrès sont réalisés pour mettre fin à cette pratique en Gambie. Cette réalisation pourrait être attribuée à l’inclusion croissante des communautés dans l’élaboration d’interventions qui permettent de s’approprier de ces initiatives et d’influencer un changement positif pour mettre fin à l’excision. Les activités de sensibilisation y compris des dialogues communautaires avec les dirigeants traditionnels, religieux et communautaires, continuent d’avoir lieu et donnent des résultats positifs.”
Nous vous remercions de votre intérêt.
L’équipe de Tostan Gambie